lundi 6 février 2012 ; à propos d’H.

fragment d’histoire : récit / photos.
lundi 6 février
C’était l’heure et j’étais au centre, étendu de tout mon long, coupé en deux sous un drap blanc aux plis impeccables. A mi-corps, mes mains avaient été jointes, elles partageaient mon buste endimanché de mon bas ventre où mes deux jambes raides étaient encore attachées. Mon col de chemise devenu trop large entourait mon cou amaigri, le dernier bouton n’était pas fermé. Je n’avais jamais pu supporter la cravate, car j’y voyais une concession à la pudeur, et j’aimais sentir mes interlocuteurs glisser leur regard dans mon col, à la naissance du cou.
lundi 6 février
C’était justement ce à quoi Hélène s’adonnait. Depuis plus d’une heure, assise là, à un mètre de moi, elle avait d’abord longuement étudié mon visage. Silencieux, les yeux clos, mes joues étaient creusées, plus encore que mes orbites oculaires, et mes lèvres toujours charnues avaient perdu leur couleur. Pour qui m’aurait croisé ou comme Hélène, mieux connu, je crois qu’il était encore possible de sentir, par delà les paupières, la présence bleue de mes yeux. Contrairement à mon habitude, mes cheveux bruns et grisés aux tempes, avaient été coiffés avec soins. Ce n’était pas de mon goût et comme je le pense, pas de celui d’Hélène non plus.
Elle redoutait ce qui cherchait à paraître impeccable. Selon elle, la perfection figeait et mettait à distance. De taille moyenne, elle était fine et savait se mettre en valeur par les vêtements qu’elle portait. Ses cheveux blonds bouclés entouraient avec douceur un visage un peu anguleux que perçaient deux yeux vifs et verts. D’elle émanait une assurance certaine. Ses gestes étaient précis et sa voix posée. Pour l’occasion, elle avait passé une robe sobre et brun sombre, que réveillait un petit foulard de soie, vaporeux et rose, noué autour de son cou.
lundi 6 février
Autour de nous, l’espace impersonnel était resté figé à une époque que je n’ai pas connue. Deux photographies de paysages alpins enneigés se faisaient face, accrochées aux murs blancs. La pièce était presque carrée et fermée d’un rideau froncé aux motifs géométriques qui rappelaient les tentures que j’avais pu voir dans des films des années cinquante. Une suspension au centre du plafond diffusait une lumière glauque qui peinait à aller jusque dans les coins. Sous la lumière, à ma tête, un bouquet de fleurs dans son vase avait été posé pour la circonstance.
Rouges, roses et violettes, les fleurs étaient fraiches et naturelles, rien à voir avec celles, poussiéreuses et artificielles, piquées dans les coupes de la salle d’attente. Avant d’entrer me voir, Hélène avait du attendre dix bonnes minutes dans un fauteuil recouvert de skaï couleur moutarde, assorti au rideau qui la séparait encore de moi. L’homme en blouse blanche qui l’avait priée de patienter, occupait un petit bureau attenant, dont l’aspect général ne dépareillait pas avec les autres pièces. A l’arrivée d’Hélène, il consultait ses SMS. La trentaine, blond aux traits encore juvéniles, ses cheveux étaient raides, un peu long dans la nuque et effilés. Ses yeux, petits, étaient marrons et sans intérêt particulier. Ce qui chez lui était notable, c’était la finesse de ses mains et la longueur de ses doigts.
lundi 6 février
Il était de service quand j’avais été amené. Il avait trouvé ce poste deux ans plus tôt. C’était calme, il ne s’en plaignait pas. Et puis, pour s’y rendre à partir de chez lui, il lui suffisait de quarante minutes porte à porte avec la ligne 4. Son bâtiment était placé à la toute fin de l’hôpital, si bien qu’en entrant par l’arrière, il était sur sa ligne et sans changement. De la station Alésia au n°96 de la rue Didot, il avait dix minutes de marche.
Romain Dupuis vivait dans le dixième arrondissement, un peu en dessous de la gare de l’Est. C’est pour mieux gagner sa vie qu’il avait postulé dans un service de pompes funèbres, car avec une licence d’Histoire de l’art, il n’avait d’abord rien trouvé de mieux que des CDD comme surveillant de salles dans les musées, payé tout juste le Smic.
La fréquentation des morts n’était finalement pas très différente de la compagnie des œuvres d’art, et dans les deux cas, la relation aux visiteurs restait distante, ce qui lui convenait. De son poste, il pouvait observer ses congénères en toute tranquillité tant ils étaient absorbés par l’objet de leurs pensées. Et puis, il aimait par-dessus tout le silence.
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