À la frontière du temps

Frédérique Paumier-Moch, 7 janvier 2008
Espace 2.13 pm
À la frontière du temps

La représentation de la mesure du temps dans l’espace est une grande constante de l’art : Poussin s’est appuyé sur les saisons, les peintres du XVIIIe siècle ont usé de vanités, les primitifs ont disposé les scènes bibliques des prédelles en ordre chronologique.

La façon dont Anne Guillotel aborde le rapport espace-temps est tout autre. Elle n’utilise ni les références calendaires de Poussin, ni les attributs des vanités, ni le déroulé linéaire des primitifs. Sa peinture distille un sentiment étrange, inhabituel, intrigant en raison de l’ambition de son projet : rapprocher l’espace et le temps, les faire UN dans la matière. Fiction, recherche spatio-temporelle, chaque tableau concentre l’unité dans le tout, l’espace dans le temps, le temps dans l’espace.

Réfléchie, cérébrale, proche de la métaphysique, la peinture d’Anne Guillotel fait référence aux notions fondamentales de la pensée et de l’évolution de l’être humain. L’impact du temps et de l’espace y est transcrit de manière quasi scientifique sous une forme totalement poétique. Servies par une facture épurée, un touché lisse, des emplacements calculés au millimètre près, ses représentations visent à concentrer l’instant. Cet homme étendu l’est à un instant T : avant, que s’est-il passé ? Après, que se passera-t-il ? Libre à nous d’imaginer le champ des possibles.

Le choix des couleurs et de leurs rapports participent aussi de cette sensation d’exactitude. Les verts glaciers, les bleus profonds ou cristallins reflètent et captent la lumière. Une lumière d’ailleurs au-delà de la lumière, plus proche d’un rayonnement, d’une aura qui émane de chaque personnage, situation ou paysage. Cette sensation de la concentration du temps dans un espace défini provient d’ailleurs probablement d’elle, en conjugaison avec les lignes de composition structurant le tableau. De cet espace-temps-lumière défini s’échappe un sentiment d’infini, de plénitude, de voyage vers l’absolu. Bien qu’extrêmement stable et construite, la peinture d’Anne Guillotel nous donne le vertige et nous entraîne à la frontière du temps.

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