« Auszüge und Zitate » (extraits et citations)

Marie Deparis-Yafil, septembre 2011
Galerie Charlotte Norberg
Auszüge und Zitate

Après « Dans l'archipel avant l'orage » en 2009, la galerie Charlotte Norberg reçoit Anne Guillotel, pour une seconde exposition personnelle. Elle y présente un ensemble de peintures récentes, sous le titre « Auszüge und Zitate », autrement dit « extraits et citations », en allemand, clin d'œil à l'époque où l'artiste vivait à Hambourg.

Anne Guillotel envisage son œuvre comme une expérimentation des questionnements et problématiques qui traversent l'Histoire de l'art et l'art contemporain.

Elle nourrit sa propre histoire picturale des thèmes récurrents de l'histoire de la peinture, tant dans ses sujets (le paysage -ainsi, dans sa précédente exposition à la galerie-, la figure), que dans l'essentielle question de la narration, ou encore dans les manières de traiter l'image et la perception de l'image, la composition, chez elle toujours dynamique, le cadre, le plan, le mouvement comme expression de la temporalité.

L'artiste travaille ainsi par série, sans éluder la perspective d'une cohérence entre elles, dans une continuité dans la recherche, depuis « Pastoralement mëme », hier, où elle insufflait une dimension théätrale à des paysages informels à «Auszüge und Zitate », aujourd'hui, qui, à partir d'œuvres marquantes, s'inscrit dans un processus de « reprise », rappelant par là mëme que dans son évolution, l'Histoire de l'art fonctionne par relecture, citation, emprunt, écart et réappropriation. Anne Guillotel nomme cela « épuisement » de la peinture, non en terme de disparition, mais bien plutôt en terme de « puiser » et d' « éprouver » la peinture dans son histoire, dans une recherche itérative, obstinée, une remise en jeu permanente, parce que « peindre appelle peindre, faire et refaire ».

« Auszüge und Zitate » augure un retour de la question de la figure, au travers, donc, d'une évocation de l'Histoire de l'art, impulsée par des œuvres aimées. Voici l'artiste transfigurant alors avec une grande liberté le « Balcon » ou le « Déjeuner sur l'herbe » de Manet, un « Enlèvement des Sabines » - celui de Rubens, de Poussin, de Picasso peut-ëtre-, une femme au bain ingresque à moins que ce ne soit celle de Raysse, une crucifixion presque iconoclaste, une annonciation devenue simple trait de lumière…

Cette réflexion sur la peinture et son histoire s'appuie, d'une part, sur la revendication d'une histoire de la peinture perçue tel un alphabet à partir duquel elle construit son langage ; d'autre part, sur une réflexion, au plein sens du terme -pensée et distance face à la surface de la toile-, comme une donnée essentielle d'une oeuvre formellement, sensiblement et intellectuellement construite.

L'exposition présente en mëme temps, mais dans deux espaces différents de la galerie, une ligne de peintures de petits formats et certaines œuvres de la série « To be continued, », qui interrogeait la sérialité, la séquence, et le processus narratif d'une manière presque cinématographique, et la série la plus récente, « Auszüge und Zitate », dans laquelle chaque tableau récupère son autonomie narrative, bien que, souvent présentés en diptyques -deux versions d'une mëme œuvre d'inspiration -, se recrée une autre forme de la séquence et de la temporalité.

Le travail de l'artiste sur la lumière et le clair-obscur, stratégies d'orientation du regard, renvoient à l'intime et à son mystère, de mëme que cette présence-absence de la figure, ces formes soudain floutées, prises dans leur mouvement, leur confusion, leur épuisement, à la limite de l'effacement (voir « Erschiessung des Austaendischen am 3 Mai 1808 in Madrid » interprétation du « 3 de Mayo » de Goya). Il y a une forme de sensualité dans la peinture d'Anne Guillotel, dans cet équilibre cérébral et charnel, rappelant toujours à la vie intime du corps et de l'esprit mais ne s'isolant jamais dans le solipsisme. Car tout dans son travail enjoint, au contraire, à se reconnaïtre dans ce qu'elle représente, à s'y projeter, à s'y sentir comme en soi, dans ses histoires qui peuvent renvoyer aux nôtres, dans cette proximité de monde, dans la rencontre des subjectivités et des vécus. S'il est vrai que l'acte de création, dans l'art, est une projection de soi hors de soi et que rien n'existe sans la rencontre avec l'autre, sa peinture n'est donc pas une peinture « pour soi ». Ce qui importe, c'est la manière dont le regard d'Anne Guillotel se porte sur la face intime de l'existence des ëtres, comme une douce effraction dans leur intranquillité.

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